La Petite Histoire de la saison : "Le bocage du Champsaur : la biodiversité, bénéficiaire collatéral !"
ÉditerGilles Pipien, administrateur bénévole à Humanité et Biodiversité, participe à la rédaction de chaque numéro de l'Echo, notre magazine trimestriel destiné à nos adhérents. A travers ses Petites Histoires, il nous partage son regard sur la nature et les territoires de France.
La route Napoléon part de la Méditerranée et remonte par Digne-les-bains et Gap vers Grenoble. Juste après Gap, elle monte en quelques lacets vers un étonnant plateau de collines, entre deux rives de montagnes : nous voici dans un cœur méconnu des Alpes, le bocage du Champsaur, un des derniers et des plus vastes bocages de montagne. Dans ce couloir glaciaire, passent le vent, l’eau et les humains depuis si longtemps. Pour permettre à ces derniers de vivre ici, il fallait bien arrêter les deux premiers.
Transformation du paysage au cours des siècles
Depuis longtemps, mais à chaque époque avec ses us et coutumes, les « Champsaurains » ont épierré, et donc mis les cailloux au bord de champs dégagés, ont planté sur ces clapiers et murets, ou laissé pousser les espèces locales, ont creusé des canaux pour guider l’eau d’arrosage, ou, en aval, mieux drainer. Que de labeur, que d’efforts nécessairement collectifs. Mais en retour moins de bise du nord, dans ce pays à 1 000 m d’altitude où il gèle 150 jours par an.
À la fin du XIXème siècle, le plateau est bien plein, avec des milliers d’habitants sur plus de 100 km², et toutes les forêts des pentes ont disparu. Alors, le ruissellement est maximal, et de mémorables crues du Drac dévastent tout, avant que les ingénieurs des eaux et forêts reprennent les terres et replantent (dans un contexte de tensions fortes avec les populations locales). Mais, dans les collines, chaque mêtre-carré est utilisé pour l’élevage, mais aussi pour les cultures et vergers. Les parcelles sont petites, avec des doubles haies qui encadrent les canaux et chemins.
Le bocage, un mode de vie
Des haies étagées avec des frênes, coupés régulièrement en têtard, des arbustes, puis de grandes herbacées : tout un monde. Et un monde fort productif : les feuilles complètent le fourrage des bêtes, les bois donnent de belles planches pour les meubles, ou de belles bûches de chauffe, les fagots servant au four ou pour tresser paniers et chaises, et que dire des baies pour goûters et confitures, sans parler des petits gibiers qui s’y cachent. Vous dirais-je tous les bienfaits de ces haies si fonctionnelles, et si belles dans le paysage qu’elles sculptent : effet brise-vent, effet d’ombre, effet de continentalité (apport d’une quantité d'eau plus importante pour les végétaux), effet anti-érosion, effet épurateur, limite de propriété et clôture des prés et champs, et tant et tant d’autres encore.
Entretiens des canaux, au milieu d’une double haie, par un collectif d’agriculteurs / photo Nicolas Bernard, Parc national des Écrins
Alors, même après les grands remembrements des années 1970, puis ceux mieux étudiés via une opération globale d’aménagement foncier prenant en compte les fonctions des haies, les derniers exploitants tiennent à entretenir le bocage, car il leur est utile. En fait, le bocage est un mode de vie, un ensemble de pratiques sociales : un socio-écosystème.
L’apport des haies pour la biodiversité
Et la biodiversité ? Elle en est la conséquence : tout d’abord avec plus de 70 espèces d’arbres et arbustes (frênes, épines-vinettes, érables champêtres, peupliers et trembles, chênes, aubépines, sureaux, etc.), plus encore d’herbacées (au moins 250 espèces!), de graminées, de fleurs (comme la mercuriale ou la violette), d’oiseaux (plus de 180 espèces dont 80 nicheuses, avec le pipit des arbres, le bruant jaune, le traquet tarier, etc.), des mammifères, des reptiles et batraciens, des insectes, etc. En fait, une biodiversité pas si rare, mais si abondante et variée. D’ailleurs, la présence d’une faune prédatrice au sein des haies permet de limiter les ravageurs des cultures dans les champs et prés : encore un bienfait pour les agriculteurs.
Vous ai-je parlé des multiples espèces appétissantes pour notre bétail : le géranium des bois, espèce de bonne valeur fourragère, présente dans les zones fraîches ; le sainfoin, en sus très mellifère ; la gesse des prés, plutôt appréciée l’hiver en fourrage sec ; le lotier corniculé, à fort pouvoir antioxydant favorable à la bonne santé du troupeau… Les belles prairies fleuries sont très bonnes à brouter et ruminer, et donc pour nos assiettes goûteuses. Vous comprenez pourquoi c’est la chambre d’agriculture qui a financé le sentier de découverte du bocage.
Quel avenir pour le bocage de Champsaur ?
Le premier ennemi du bocage, et donc de la biodiversité, est d’abord la déprise agricole, avec l’exode rural massif depuis l’après-guerre. Il ne reste plus que quelques dizaines d’exploitations, que la mécanisation soutenue par une fiscalité avantageuse n’aide pas vraiment, là où les charges sociales pèsent sur l’embauche de bras. L’éco-tourisme reste encore timide, au-delà du touriste qui se précipite plutôt vers les stations de skis comme Orcières (qui offrent cependant des compléments de revenus aux agriculteurs qui se font saisonniers). Quelques résidences secondaires sont venues, mais en s’entourant de clôtures en troènes ou thuyas, les pépinières alentours n’offrant pas les espèces locales ! Et pourtant, que la montagne est belle, quand l’automne vient d’arriver... Le Parc National des Écrins et la Chambre d’agriculture collaborent pour mettre en place toutes les mesures possibles d’accompagnement agri-environnementales. Mais, les vergers se meurent, le bocage se ferme. C’est le retrait de la présence et de l’activité humaine qui va réduire la biodiversité.
Alors, comme moi, montez-vous y promener, ne passez pas avec vos skis sur le toit, en trombe vers le blanc : le vert nous va si bien.
En savoir plus :
• Le site du Parc national des Ecrins : http://www.ecrins-parcnational.fr/secteur/champsaur-0
• Le sentier du bocage : http://www.champsaur-valgaudemar.com/fr/ete/randonnee/sentiers-decouvertes/selection/20257/fiche/sentier-du-bocage.html
• L’Ardéchois vous conseille la flore des prairies de son Mezenc : https://fr.calameo.com/books/0005641490f69d0f81e7b
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Cette Petite Histoire est à retrouver dans l'Echo n°114 (hiver 2018/2019), dossier spécial "Biodiversité et énergie : des interactions souvent oubliées".
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