L'huile de palme, une méfiance très française
Éditer- Yves Daudigny, sénateur socialiste de l'Aisne et auteur du désormais fameux amendement "Nutella", le dit lui-même : "Je ne pensais pas que ça prendrait une telle proportion..." Son texte, qui vise à imposer une taxe additionnelle de 300 euros par tonne aux importations d'huile de palme destinées à l'alimentation, pour des raisons de santé publique, ne sera probablement pas adopté après le rejet par le Sénat du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais il a suscité des réactions jusqu'en Afrique et en Asie.
Le Conseil malaisien de l'huile de palme, une organisation de promotion de la filière, a multiplié les communiqués, insistant sur le fait que le beurre, le fromage ou les huiles hydrogénées étaient bien plus mauvais pour la santé que les deux kilos d'huile de palme par an consommés par chaque Français. L'Initiative pour l'analyse des politiques publiques, un think tank nigérian, s'est adressé directement à François Hollande, lui demandant de rejeter cette "taxe coloniale" tout en affirmant que la culture du palmier à huile "réduit la pauvreté et améliore la vie de millions d'Africains".
Ces réactions s'inscrivent dans la contre-offensive récente du secteur de l'huile de palme, qui estime son produit injustement dénigré en France. Fin juin, l'Association ivoirienne des producteurs de palmiers à huile a déposé plainte contre Magasins U devant le tribunal de commerce de Paris. Elle accuse le distributeur d'avoir mené une campagne mensongère pour justifier le retrait de l'huile de palme des produits diffusés sous sa marque. Le tribunal doit rendre sa décision le 5 décembre.
"POINT DE FUSION"
En septembre, le ministre malaisien des industries de plantation et des matières premières, Tan Sri Bernard Dompok, est venu à Paris pour y rencontrer Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, dans le but affiché de "rectifier la perception de l'huile de palme" en France. "Nous pensons que la méfiance de l'Europe n'est pas justifiée et nous sommes préoccupés par cette situation", a déclaré le ministre. La Malaisie et l'Indonésie assurent 85% de la production mondiale d'huile de palme.
Le rejet de l'huile de palme tel qu'il se manifeste en France semble n'avoir aucun équivalent au monde. "La France est le pays d'Europe où on trouve le plus d'entreprises agro-alimentaires ayant renoncé à mettre de l'huile de palme dans leurs produits", témoigne Sylvain Angerand, de l'association Les Amis de la Terre.
Les premières campagnes menées par les organisations non gouvernementales comme Les Amis de la Terre, Greenpeace ou WWF pour sensibiliser l'opinion aux dégâts environnementaux et sociaux provoqués par le développement des grandes plantations industrielles de palmiers à huile en Asie du Sud-Est ont commencé dans les années 2000. Elles étaient ciblées sur la déforestation et la protection des orangs-outans et n'évoquaient pas les aspects sanitaires.
"L'angle nutritionnel n'a émergé vraiment qu'à partir de 2009, et seulement en France, quand certaines entreprises, notamment des distributeurs, ont compris qu'il y avait un intérêt commercial et en termes d'image à ne plus utiliser d'huile de palme dans leurs produits, explique Jérôme Frignet, de Greenpeace. C'était un dévoiement: nous n'avons jamais demandé que l'on boycotte l'huile de palme en général, mais seulement celle produite en ayant recours à la déforestation."
Entretemps, l'huile de palme s'était vue parée de tous les maux du point de vue de la santé et de la nutrition. Un phénomène sans doute lié à sa généralisation dans les plats préparés et de nombreux produis alimentaires, en raison de son faible coût, de ses qualités de conservation et de sa texture incomparable, d'une tenue excellente puisque son point de fusion est supérieur à 35 °C.
"PAS DANGEREUSE EN TANT QUE TELLE"
"C'est un produit fantastique pour l'industrie agroalimentaire, affirme Thierry Desouches, porte-parole de Magasins U. Tellement fantastique qu'on en trouve partout, même sans le savoir. Ce manque de transparence est pour beaucoup dans la défiance qui existe aujourd'hui." La réglementation en vigueur oblige seulement à faire figurer la mention "huile végétale" sur les produits en contenant.
Le groupe Ferrero, dont le produit-phare, le Nutella, est devenu le symbole de cette "invasion cachée", s'est senti obligé de faire une mise au point par l'intermédiaire de deux pages de publicité parues vendredi 16 novembre dans plusieurs quotidiens français, dont Le Monde.
"Mais le travail préalable d'explication n'a sans doute pas été fait, constate Thierry Desouches. Et quand une idée ou un fantasme commence à s'auto-alimenter, si vous n'intervenez pas immédiatement pour ramener de la rationalité, eh bien la machine s'emballe."
Selon un avis de l'ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) datant de 2010, le principal défaut de l'huile de palme est de contenir en quantité de l'acide palmitique, l'un des trois acides gras saturés dont il est avéré qu'ils favorisent le risque d'accident cardio-vasculaire.
"L'huile de palme n'est pas toxique, ni même dangereuse en tant que telle, affirme le biochimiste Philippe Legrand, l'un des auteurs de l'avis. Elle est nécessaire à un enfant africain en pleine croissance. Mais dans un pays où nous nous dépensons peu et où nous mangeons trop, il est souhaitable d'en limiter l'apport."
Gilles van Kote
Un rapport préconise une consommation modérée
Le Fonds français pour l'alimentation et la santé doit rendre public, mercredi 21 novembre, un "état des lieux" des enjeux nutritionnels, sociaux et environnementaux de l'huile de palme. Les conclusions d'une version provisoire de ce rapport, dont LeMonde a eu connaissance, militent en faveur d'une consommation modérée de cette huile dont la France importe environ 150 000 tonnes par an.
Le rapport recommande "de faire en sorte que les niveaux de consommation d'huile de palme actuellement observés en France n'augmentent pas significativement".
"Les stratégies d'éviction [du marché français] s'avéreraient nettement contre-productives, écrivent également les auteurs. On encouragerait alors indirectement la production d'huile de palme non durable." Le Fonds français pour l'alimentation et la santé a été créé en 2011 à l'initiative de l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA).
"C'est la matière première qui permet le mieux de lutter contre la pauvreté"
DEUX QUESTIONS À Darrell Webber, secrétaire général de l'organisme de certification La Table ronde
L'organisme de certification La Table ronde pour une huile de palme durable (RSPO), destiné à favoriser l'émergence d'une filière durable de production d'huile de palme, est né il y a dix ans. RSPO est régulièrement critiqué, ses détracteurs lui reprochant des critères et des mécanismes de contrôle insuffisants. Son secrétaire général, Darrell Webber, répond à ces critiques et évoque la particularité de la perception française.
L'huile de palme a une image très négative en France. Comment l'expliquez-vous ?
RSPO n'a pas de position sur les aspects sanitaires, mais il y a quelque chose de comique à voir les Etats-Unis augmenter leurs importations d'huile de palme en raison des effets bénéfiques de celle-ci, alors qu'un autre pays tente de dresser des barrières à ces importations. C'est sans doute le fruit d'un manque de connaissances.
Mais il y a un deuxième aspect, et c'est l'aspect environnemental. Le palmier à huile est l'oléagineux le plus productif, de quatre à dix fois plus que ses concurrents. Pour remplacer un hectare de palmiers à huile en Asie du Sud-Est, on a donc besoin d'au moins quatre hectares en Amazonie ou ailleurs. Il faut s'assurer du caractère durable de sa production, mais l'huile de palme doit trouver sa place parmi les huiles végétales alimentaires.
Que répondez-vous aux critiques qui visent RSPO ?
Depuis 2008, RSPO a distribué trente-cinq certifications qui représentent 14% du marché mondial de l'huile de palme. C'est déjà un pas en avant. Avec celle du bois, l'industrie de l'huile de palme est la seule à avoir mis sur pied une plateforme de développement durable.
Il n'existe pas de solution parfaite, mais je n'en vois pas de meilleure que RSPO. Bien sûr, nous devons nous améliorer constamment. Comme nous le faisons tous les cinq ans, nous sommes d'ailleurs en train d'évaluer et revoir nos principes et critères.
J'insiste, mais l'huile de palme est sans doute la matière première qui permet le mieux de lutter contre la pauvreté. Sa production permet à des centaines de millions de petits exploitants d'améliorer leur niveau de vie.
Propos recueillis par G. v. K.
Source: http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/11/19/l-huile-de-palme-une-mefiance-tres-francaise_1792612_3244.html
Commentaires
Au premier semestre 2012, une publication parlait des palmiers à huile: http://www.humanite-biodive...
Examiner les plantations au cas par cas semble nécessaire.
j'ai survolé une étiquette de Leclerc donnant la composition exacte de certains produits. Je pense que les personnes concernée, comme moi, aimerait voir ce genre d'information sur tous les produits pour permettre un choix éclairé sur notre consommation. Yves rocher qui promet de planter 3 arbres ne peut pas avoir de succès tant nos boîtes aux lettres sont remplies de ses catalogues et autres publicités. Il faut qu'on arrête de nous prendre pour des imbéciles ou que les médias ne montrent pas de façon manichéenne la déforestation, par exemple... De toute façon, nous nous perdons tous, je pense dans les huiles hydrognénées ou pas, celles qui peuvent être cuites ou pas, en l'occurence nous sommes désinformés. Pas moyen d'obtenir un tableau complet de toutes les huiles et matières grasses mises sur le marché avec leur valeur caloriques, leur bienfait ou leur méfait, comment les utiliser, etc...
Les américains sont réputés en france pour avoir tendance à l'obésité. La publicité en France en a fait un slogan. Il n'est pas étonnant dans le pays de la mode, que tout le monde se sente concerné.
Complément d'information
http://www.humanite-biodive...
1) L'Association Santé Environnement France nous rapporte:
"Il existe deux types de graisses :
- les acides gras saturés appelés plus communément « les mauvaises graisses ». Elles augmentent le taux de mauvais cholestérol, avec un risque de troubles cardio-vasculaires, qui peut entrainer l’obésité et d’autres maladies graves. On les retrouve principalement dans les produits laitiers, certaines viandes, la charcuterie, les chips, les viennoiseries, le beurre ou l'huile de palme, il est bien sur recommandé de les limiter.
2) ne pas oublier LES RAPPORTS EROSION DE LA BIODIVERSITE-SANTE HUMAINE!
L'érosion de la biodiversité MENACE AUSSI l'HOMME qui fait partie de l'ensemble vivant, d'espèces interdépendantes. Or, la production croissante d'huile de palme est à l'origine, depuis 20 ans, d'une déforestation massive des forêts tropicales humides, à l'origine d'une érosion de la biodiversité. Récemment : http://fr.mongabay.com/news...
3) Cette même déforestation massive participe au réchauffement climatique, lui-même nuisible à l'Homme (vous en savez quelque chose, ici, sur Humanité & Biodiversité)
Des villageois ont fait reculer de puissantes multinationales, et cela se passe au Liberia, le 5 mars 2014 (pourquoi?) http://www.bastamag.net/L-e...
Et l'huile de palme pour les agrocarburants? Les agrocarburants de l’UE viennent de faire de nouvelles victimes en Indonésie dans une plantation de la société d’huile de palme Asiatic Persada. Sur place, notre partenaire Feri Irawan est venu en aide à cinq blessés graves et a documenté le meurtre brutal d’un villageois. Protestons auprès des gouvernements européens !https://www.sauvonslaforet....
en 2020, il sera trop tard ...
"Les ravages de ses fournisseurs en huile de palme ayant été rendus publics, P&G a donc réagi en prenant plusieurs engagements : établir d’ici fin 2015 la traçabilité de l’huile de palme aux usines des fournisseurs et surtout bannir de sa chaîne d’approvisionnement l’huile de palme issue de la déforestation à l’horizon 2020.
Dans sa déclaration de bonnes intentions, P&G omet pourtant de considérer le rythme effréné de la déforestation et la volonté de l’Indonésie de doubler -de 20 à 40 millions de tonnes- sa production d’huile de palme d’ici à 2020 ! Si rien ne change d’ici là, les forêts de nombreuses régions indonésiennes auront complètement disparu." https://www.sauvonslaforet....
FAQ
Généralités
Comment Sauvons la Forêt apporte son aide
http://www.humanite-biodive...
Huile de palme : la déforestation s’accélère en Indonésie
Devenue le leader mondial de la production d’huile de palme, l’Indonésie a abattu en 2012 près de deux fois plus de forêt vierge que le Brésil, selon une étude publiée hier par le magazine Nature Climate Change. 840 000 hectares de forêt auraient été abattus, un an après un moratoire de défrichement visiblement sans grand effet.
S’intéressant à la “Perte de forêt vierge en Indonésie en 2010-2012?, l’étude de Belinda Margono estime que la déforestation s’accélère. L’Indonésie a perdu au cours de cette période plus de 6 millions d’hectares de forêt primaire, une surface comparable à l’Irlande.
30/06/2014
http://www.durable.com/actu...
Et voici un article français de fin février 2016: http://www.lemonde.fr/plane...